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HISTOIRE :
LA RENAISSANCE D’UN CHÂTEAU

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UN SITE NATUREL PROPICE

Tout d’abord, l’observation topographique du site de Châteauneuf révèle la situation stratégique naturelle que pouvait offrir ce site. L’ éperon rocheux sur lequel se trouve le château ressemble à une sorte d’isthme formé par un ancien bras de la Rance à l’ouest et une avancée de la mer à l’est, qui sont actuellement des zones de marais.
Signalons que Châteauneuf, qui est à 12 km au sud de Saint-Malo, se situe au sud d’une zone géographique appelée Clos-Poulet qui correspond à une division administrative remontant à l’époque gallo-romaine et limitée à l’ouest par la Rance, au nord et à l’est par la Manche et au sud par d’anciennes étendues marécageuses. A certaines époques reculées et selon les fluctuations du niveau marin, l’éperon rocheux de Châteauneuf axé nord sud, constitue l’unique passage reliant Condate (Rennes) à Alet (cité gallo-romaine fondatrice de Saint-Malo). Par cet axe routier transitaient de nombreuses marchandises. Ces zones immergées ont fini par s’assécher pour devenir dans un premier temps une zone de marais puis, une fois irriguées, une plaine alluviale.
Dominant le paysage alentour, ce promontoire rocheux permettait également de surveiller, d’un côté, de vastes étendues plates et inondables et de l’autre, une partie de la vallée de la Rance. Ce site rocheux matérialisa l’entrée du Clos-Poulet. Il eut ainsi un rôle stratégique important propice à l’implantation d’un premier lieu fortifié aux alentours de l’époque gallo-romaine, sorte de retranchement d’hommes armés situé en bordure de la voie romaine, à l’emplacement ou bien à proximité de l’actuel site castral.

Longtemps après, en 1695, le célèbre commissaire général des fortifications, Sébastien Le Prestre de Vauban, ayant repéré le site de Châteauneuf lors d’une de ses inspections dans la région malouine, confirma l’intérêt stratégique de l’isthme de Châteauneuf. Il le qualifia alors de « Position militaire importante pour la défense de la province de Bretagne »

LES FONDATIONS DU SITE CASTRAL DE CHÂTEAUNEUF

La première mention d’un lieu fortifié attesté à l’emplacement de l’isthme de Châteauneuf remonte au milieu du XIe siècle et figure dans une charte de l’abbaye Saint-Georges de Rennes, entre 1024 et 1067. Cette charte mentionne la construction d’un castellum à Nulliac entre 1047 et 1057 par Geoffroy, fils de Salomon. La politique ducale, qui est à l’origine de la fondation de ce castrum, émerge dans un contexte de lutte opposant Conan II, duc de Bretagne, à son oncle Eudes et à Guillaume le Bâtard, duc de Normandie et futur roi d’Angleterre. Cette situation politique entraîna une forte mobilisation des châteaux forts du comté de Rennes. Le fief de Châteauneuf est donc issu de la nomination, par le comte de Rennes et duc de Bretagne, d’un officier chargé en son nom de la défense du territoire frontalier d’Alet, situé au nord du comté de Rennes à la limite avec le régaire de Dol et le Pagus Racter.
Cependant, et malgré les récents travaux de Michel Brand’Honneur, l’origine exacte du premier château sur cet éperon rocheux reste encore floue. Au début du XIe siècle, un « vicarius de Poëlet », nommé Hamon Ier, était chargé de la défense du territoire de la vicomté d’Alet.
Le nom primitif du château au XIIe siècle était Castellum de Noes ou Castellum de Bure, puis au XIIIe siècle Castellum de Noa, en français Chastel-Noë et par déformation Chastel Neuë avant de devenir plus tard Chasteau Neuf.
Lieu de défense et de contrôle de la Rance d’un côté et des marais de Dol de l’autre, protégeant le sud du Clos-Poulet, ce castrum appartenait à la seconde ligne de défense des Marches de Bretagne. Il comportait tout un système de mottes aux abords du site et sur les pourtours des zones de marais, de part et d’autre de l’isthme de Châteauneuf. Ce réseau de mottes est encore visible. Certaines d’entre elles sont signalées par la toponymie actuelle.
Sur l’isthme, se dressait dès le XIIe siècle un donjon quadrangulaire à contreforts construit en pierre et situé à 250 m. au sud du premier site castral de Châteauneuf qui était constitué d’une double motte. Le castel Noë fut relevé aux alentours de 1117 et le donjon édifié autour de ces années sous l’autorité de Henri Ier, roi d’Angleterre et duc de Normandie, et après accord passé avec Conan III. L’irruption des Plantagenêts sur la scène politique bretonne amorça un jeu politique basé sur des alliances franco-bretonne et anglo-bretonne et eut des conséquences visibles dans le duché notamment du point de vue des techniques militaires de défense. Les quelques rares donjons quadrangulaires bretons connus jusqu’à présent comme ceux de La Gacilly, Montfort et Hédé en témoignent.
Le donjon castelnovien a entièrement disparu, mais des fouilles archéologiques menées entre 1980 et 1983 dans la cour du château à l’initiative de Patrick Grueau, à l’époque étudiant en Histoire de l’Art à l’Université de Rennes II, ont permis de le localiser. Les fouilles furent effectuées sur un périmètre limité. La mise à jour d’une partie des soubassements montre qu’il s’agit d’un donjon de type anglo-normand. Ce type de construction défensive fut généralisé par Henri Ier et son successeur Henri II. D’après les relevés archéologiques établis, le donjon mesurait environ 13 m. sur 14 m. Il était constitué d’un appareil de pierres de taille en granit liées entre elles par un mortier d’argile. Les matériaux utilisés sont locaux, schiste et granit. Cette construction de plan quadrangulaire était flanquée de contreforts à ressauts aux angles. Elle pouvait abriter quatre niveaux intérieurs.
Le rapport de fouilles atteste bien l’existence d’un donjon de type anglo-normand construit au début du XIIe siècle. Or, ce soubassement de donjon est un élément rare matérialisant la manifestation du pouvoir anglo-normand en Bretagne, entre le XIe et le XIIe siècle. En raison de l’absence de conservation de donjons datant de cette époque, il existe en Bretagne très peu d’éléments permettant d’entreprendre une analyse comparée détaillée sur ce vestige.

L’ÉVOLUTION ARCHITECTURALE DU SITE CASTRAL JUSQU'AU XVe SIECLE

Le site castelnovien est complexe et résulte des enchevêtrements de styles architecturaux témoins des différentes campagnes de construction ou d’aménagement. La difficulté à restituer les transformations et l’évolution du site castral de Châteauneuf au cours de ses dix siècles d’existence réside notamment dans cette complexité stylistique mais aussi du fait des lacunes des ressources archivistiques du château. Toutefois, la possibilité de restitution de l’évolution architecturale d’un site doit pouvoir se faire en regard du contexte historique, géographique et social du lieu étudié.

Le village de Châteauneuf et son château sont implantés sur cette langue rocheuse axée nord sud et dont la nature du roc est constituée de schiste gris bleu. L’assiette du château, sur laquelle prennent place différents bâtiments, correspond au point culminant de cet isthme rocheux, soit 22 m. d’altitude au-dessus du niveau de la mer. L’ensemble du site castral, dans son état actuel, se compose du logis seigneurial, de la chapelle castrale aujourd’hui église paroissiale, du « Petit Château » ou malouinière, des communs (écurie et orangerie), de la métairie et d’une partie de ses anciens jardins.

Si nous avons choisi de présenter les transformations architecturales réalisées principalement au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles c’est pour mieux mettre en valeur les changements qui ont été opérés sur ce site à partir de la Renaissance.
Ce lieu fortifié aux alentours de l’an mille, constitue un exemple significatif en Bretagne de l’évolution continuelle des anciennes grandes forteresses.
Tout d’abord, le relèvement du castel Noë par Henri Ier Beauclerc aux alentours de 1117 accompagné probablement à cette époque d’un déplacement de site plus au sud, eut pour conséquence l’édification au début du XIIe siècle d’un donjon en pierre. Par la suite, le village s’est développé à proximité du château et l’existence d’une ville close à Châteauneuf est attestée dans des textes d’archives avant le XVe siècle.
Puis, au cours du XVe siècle, à l’époque du conflit du duché de Bretagne avec la France, de nouveaux travaux de réaménagement de la forteresse furent entrepris par les seigneurs du comté de Châteauneuf, les Rieux, afin de renforcer ce site stratégique.
Relater l’histoire du château de Châteauneuf c’est aussi mentionner la présence sur ces terres, pendant plus de 250 ans, d’une des plus illustres familles de la haute noblesse bretonne, la maison de Rieux, tombée actuellement dans l’oubli. Cette famille, dont certains membres faisaient partie des puissants vassaux des Ducs de Bretagne au même titre que les Rohan et les Laval, a su maintenir sa position sociale et étendre ses terres grâce au jeu habile des alliances contractées avec les maisons de Bretagne, Rochefort, Clisson, Rohan, Malestroit, Montmorency, Coligny, etc. De plus, entre le XVe et le XVIe siècle, cette famille comptait en son sein des Maréchaux de France et de Bretagne sur plusieurs génération ainsi que des lieutenants généraux pour la Bretagne, des chevaliers de l’Ordre du Roi et deux gouverneurs de Brest, qui ont joué un rôle important dans l’histoire de la Bretagne. Rappelons que c’est Jean IV de Rieux (1447-1518), tuteur de la fille de François II, héritière du duché de Bretagne, qui s’opposa au mariage d’Anne de Bretagne avec l’archiduc Maximilien d’Autriche et préféra négocier un mariage avec le roi de France, Charles VIII.
Au début du XVe siècle, la forteresse de Châteauneuf présente un plan de forme trapézoïdale. Or, le XVe siècle est un siècle marqué par l’évolution des techniques militaires d’attaque et de l’artillerie qui engendra des nouveautés en matière architecturale, comme le système de barbacane visible à Châteauneuf à cette époque. Ces travaux entraînèrent des dépenses considérables, souvent couvertes par les taxes indirectes et les levées.
A partir des années 1440, des travaux pour remparer et réaménager la forteresse furent entrepris par Jeanne de Rochefort-Rieux et son fils Michel de Rieux, grâce à la levée d’impôts sur ces mêmes terres pendant deux ans.
Dans la cour intérieure du château, se trouvait encore le donjon du XIIe siècle. Il avait été conservé et se retrouvait au centre de la cour après les travaux de consolidation et d’extension effectués au milieu du XVe siècle. Il devait certainement constituer une plate-forme d’observation privilégiée du haut de laquelle on pouvait surveiller la région. Le plan général de la forteresse était de forme trapézoïdale, orientée nord-est, sud-ouest, et défendu par trois grosses tours rondes, un profond fossé sec, des glacis et une levée de terre bastionnée. Les trois grosses tours rondes, dont une seule subsiste aujourd’hui, étaient reliées entre elles par de hautes courtines. Deux des tours portaient le nom de deux seigneuries inféodées au comté, la tour de la Bellière et la tour de Coëtquen.
La tour nord, qui est le seul élément bâti subsistant de ces réaménagements du XVe siècle, présente un aspect encore massif et primitif. La base de cette tour est marquée par un profil légèrement taluté, d’une inclinaison d’environ 78 degrés. Elle a un diamètre de 12 mètres et s’élève sur quatre niveaux. L’élévation de cette tour est d’une assez grande homogénéité, rythmée par trois bandeaux de pierres en granite, elle est couronnée par un chemin de ronde soutenu par des doubles corbeaux.
Dans les abords, comportant des ouvrages de défense comme des levées de terre, des éperons, des bastillons, des fausses-braies et des braies remparées, il existait un périmètre dans lequel se trouvaient des jardins, des viviers et des prés.
Jusqu’à cette époque la forteresse de Châteauneuf présente un aspect militaire à caractère défensif, avec un plan fermé. Dans un contexte de conflits et de guerres franco-bretonnes consécutifs à la guerre de Succession du duché de Bretagne, cette forteresse eut un rôle stratégique militaire non négligeable.

LES GRANDS AMÉNAGEMENTS ARCHITECTURAUX DES XVIe ET XVIIe SIÈCLES

La période couvrant les XVIe et XVIIe siècles, amorce un changement significatif pour Châteauneuf.
En 1548, le troisième fils de Jean IV, Jean de Rieux (1507-1563) hérite de la seigneurie de Châteauneuf après l’extinction de la branche aînée morbihannaise, et décide alors d’en faire son fief principal. Il entreprend d’important travaux de réaménagement afin de transformer cette ancienne forteresse en un lieu de résidence conforme au goût stylistique de son époque.
Les Rieux menaient grande vie auprès des rois de France et la cour de Châteauneuf était connue en son temps. Les écrits de deux seigneurs vivants dans la région, et redécouverts entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, nous ont laissé un témoignage indéniable. Le premier, est un Journal écrit par François Grignart (1551-1607), écuyer sieur de Champsavoy près d’Evran, qui relate aussi bien sa vie personnelle que les événements historiques et politiques vécus en Bretagne et en France, à cette époque troublée par les guerres de Religion. François Grignart entra dans la suite de « Monsieur de Châteauneuf » (Guy Ier de Rieux) en 1576, et prit le parti des armes pour le roi en combattant auprès de son seigneur. Le second écrit sont les mémoires du sieur Charles de Gouyon (1553-1587), intitulées « Brief discours de la vie de Madame Claude du Chastel, dame de la Moussaye », commencées en 1562 et finissant en 1585. C’est un observateur privilégié des mœurs de cette noblesse du XVIe siècle puisque lui-même appartient à la noblesse bretonne de haut rang. Tous deux évoquent dans leurs écrits la cour de Châteauneuf et les nombreux déplacements des membres de la famille de Rieux dans leurs diverses propriétés. François Grignart mentionne même les relations politiques que Guy Ier entretenait avec le duc de Mercœur en pleine guerre de la Ligue et son intervention pour tenter de retrouver enfin le paix en Bretagne. De plus, ces deux documents sont de bons indicateurs concernant les mœurs de la noblesse bretonne à la fin du XVIe siècle.

La fondation de la paroisse de Châteauneuf est encore mal connue. En 1181, une bulle du pape Lucius III confirme au Chapitre de Saint-Malo la possession de l’église de Châteauneuf, située approximativement à l’emplacement de l’actuelle église. Il est alors possible que la paroisse ait été confiée aux chanoines de la cathédrale de Saint-Malo. L’église est actuellement dédiée à Saint-Nicolas, considéré comme le saint protecteur des marchands, ce qui semble faire remonter la paroisse au moins au XIIIe siècle.
Les aménagements entrepris dans la chapelle seigneuriale au cours du XVIe siècle attestent une prise de possession de ce fief par la branche cadette des Rieux, en la personne de Jean de Rieux, troisième fils de Jean IV. A partir de 1532, celui-ci entreprend d’agrandir l’église par l’adjonction de deux nouvelles chapelles s’ouvrant sur la nef chacune par une grande arcade en arc brisé.
Puis, affirmant de nouveau cette possession des lieux, Jean de Rieux, mort en 1563, avait décidé de se faire inhumer, avec sa femme Béatrice de Jonchères, dans un magnifique tombeau avec enfeu élevé près du chœur du côté de l’Evangile, à l’entrée de leur chapelle seigneuriale appelée chapelle du Saint-Esprit. Ce monument funéraire a malheureusement été entièrement détruit au moment des troubles de la Révolution. Seul subsiste un dessin réalisé au début du XVIIIe siècle, figurant dans un terrier du Marquisat, qui montre une ressemblance avec celui de Guy d’Epinay et de Louise de Goulaine, érigé dix ans plus tôt et conservé à la collégiale de la Madeleine à Champeaux, où l’on retrouve la double représentation du couple défunt sous la forme de gisants et de priants. Le dessin témoigne de la qualité d’exécution de cette œuvre somptueuse, malheureusement disparue. De la même façon, les dessins représentant les vitraux de l’église de Châteauneuf et de quelques églises de la juridiction de la seigneurie, qui figurent également dans le terrier, témoignent de la qualité de réalisation de ces pièces décoratives. D’après la représentation faite de l’enfeu, les éléments de décor étaient rehaussés d’or et de polychromie ainsi que d’ornements en forme de coquilles Saint-Jacques, de guirlandes, de feuilles d’acanthe et de cartouches de cuirs découpés, qui étaient à la mode dans les années 1560.
En conséquence des guerres de la Ligue qui secouèrent la Bretagne à la fin du XVIe siècle, la forteresse de Châteauneuf amorça une démilitarisation. Dès le mois de mars 1576, le seigneur de Châteauneuf, Guy Ier de Rieux, se rallia du côté du roi et sembla avoir des sympathies pour le parti royaliste protestant. En mars 1592, le château-forteresse est repris par les troupes d’Henri IV, après en avoir expulsé la garnison du duc de Mercœur qui s’y trouvait depuis déjà un an. A l’automne, les troupes du duc de Mercœur réussirent à reprendre la forteresse qui fut entre temps livrée au pillage organisé par les Malouins avant d’être une nouvelle fois saccagée en octobre, sur ordres de Mercœur. Enfin, le démantèlement officiel fut ordonné par le roi Henri IV en 1594 et acheva la démolition déjà entamée par les Malouins et les ligueurs. Tous les canons aux armes des Rieux avaient été emportés à Saint-Malo et le vieux donjon fut en partie détruit.
 Passant outre l’édit royal, allant dans le sens d’une pacification de la France, les Rieux décidèrent de relever leur château et de reconstruire leur logis. A cette occasion, ils firent probablement appel à un architecte du Roi nommé Thomas Poussin, actif dans toute la moitié nord du département d’Ille-et-Vilaine entre le XVIe et le XVIIe siècle. Celui-ci intervint entre 1590 et 1611 sur leur chapelle ainsi que sur le vieux château. Cette hypothèse s’appuie, en partie, sur un paragraphe écrit par Paul Banéà la suite d’une de ses visites à Châteauneuf dans les années 1910 où il relève l’inscription d’une plaque aujourd’hui disparue, qui était visible sur un mur intérieur de l’église. Sur cette plaque on pouvait lire : « Lan 1596 fut cômêne – cet acroissemêt – deglise – et parachevé par Mre Thomas Poussin – architecte du Roy ». A cela s’ajoutent les analogies stylistiques de certains ornements sculptés existants encore sur la façade du logis avec ceux de la cathédrale de Saint-Malo ou bien avec d’autres réalisations de l’architecte. L’observation et l’analyse comparative des éléments architecturaux de cette façade ainsi que le témoignage de Paul Banéat permettent d’établir l’hypothèse de l’intervention de cet architecte à Châteauneuf.
 Thomas Poussin, sieur du Clos Besnard en Plesder, appartenait à une famille de maîtres-architectes de la ville de Dinan. Bien que dans l’état actuel des recherches nous ne connaissons pas encore toutes ses réalisations, nous savons toutefois que, de 1593 à 1596 il habite la ville de Dinan puis il part à Saint-Malo où il reste jusqu’en 1607 pour conduire les travaux effectués sur le collatéral nord de la cathédrale de Saint-Malo. Il participe ensuite à l’édification du Palais du Parlement de Rennes, à partir de 1614. Nommé expert associé de Germain Gaultier et de Jacques Cordier, il travaille notamment à l’avant-projet ainsi qu’à la construction de l’aile nord du Palais, entre 1624 et 1631. On lui attribue aussi l’édification du château du Rocher-Portail, vers 1617.
Il existe actuellement deux sources iconographiques permettant de retrouver l’image que pouvait avoir le château de Châteauneuf après ses « réparations » et réaménagements entrepris à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle.
Il s’agit, dans un premier temps, du plan le plus ancien que nous ayons pu trouver sur Châteauneuf. Extrait du manuscrit écrit par Christophe-Paul de Robien, le plan de la ville de Châteauneuf témoigne encore de l’aspect médiéval de la forteresse, avant les transformations qui suivirent.
Le plan général de la forteresse était de forme trapézoïdale, orientée nord-est, sud-ouest. Cette forteresse était défendue par trois tours rondes, trois tours carrées, un profond fossé sec, des glacis et une levée de terre bastionnée. Les trois grosses tours rondes, dont une seule subsiste aujourd’hui, étaient reliées entre elles par de hautes courtines. Deux des tours portaient le nom de deux seigneuries inféodées au comté, la tour de la Bellière et la tour de Coëtquen. L’ensemble de la forteresse était cerné de larges fossés.
En second lieu, les illustrations du terrier, précédemment cité, constituent des témoignages iconographiques précieux. La page sur laquelle figure une vue d’ensemble de Châteauneuf semble être la représentation la plus ancienne que nous ayons du château. Malheureusement, d’après le sommaire de ce terrier, nous savons qu’il manque quelques pages. Le terrier comportait un relevé du château, probablement sous forme de plan, qui a disparu.
Sur ce dessin, on distingue l’ancien château avant les transformations survenues au XVIIIe siècle. Mis en relation avec un procès-verbal de prise de possession des lieux fait par les hommes de Jacques-Louis de Béringhen, le 22 septembre 1681, on constate que le château avait encore l’aspect d’une forteresse entourée de fossés.
L’accès dans la cour du château se faisait par l’intermédiaire de la barbacane qui menait à un pont-levis, abrité par un châtelet d’entrée. Ce châtelet construit en pierre de taille était surmonté d’une toiture à l’impériale. Après être passé sous le châtelet, le logis s’imposait en fond de cour. L’architecte, qui est probablement intervenu, s’est adapté à un programme architectural préexistant. Le corps de logis fut remanié à l’emplacement même de l’ancien logis médiéval, conservant ainsi sa position enserrée dans l’enceinte médiévale. Le châtelet d’entrée fit l’objet d’un enrichissement architectural. Le centre de la cour était encore occupé par les restes de l’ancien donjon. Le logis se composait d’un corps de bâtiment à cinq niveaux couvert d’une toiture en pavillon à coyeaux avec une cage d’escalier coiffée d’une grande toiture à l’impériale, le tout joint à l’une des trois tours rondes de la forteresse. La porte se situait en bas de la cage d’escalier, on y accédait par l’intermédiaire d’un perron, devant lequel était le puits. La salle d’apparat qui se trouvait au rez-de-chaussée, au-dessus des cuisines en sous-sol, devait être ornée de plaques de marbre, de poutres en bois polychromes et les murs couverts de tapisseries. Une pièce isolée, pouvant servir de cabinet, occupait le dernier niveau du château, au-dessus de la cage d’escalier. Ce corps de logis se prolongeait vers le sud-ouest. Cette partie, qui devait être le pendant du corps de logis séparé par l’escalier, ne semble pas avoir été achevée. Elle mesurait 50 pieds de long en façade, soit environ plus de 16 mètres et se situait entre le donjon en ruine et la cage d’escalier.
Les deux toitures à l’impériale qui coiffaient le châtelet d’entrée et la cage d’escalier du logis étaient surmontées chacune par un lanternon. Celle du logis était flanquée, en plus, de quatre lanterneaux à ses angles. Les tours de défense étaient coiffées de toitures en poivrière. La silhouette de ce château, symbole de puissance, était renforcée du fait de son environnement géographique. Perché sur son éperon rocheux et dominant l’étendue des marais de Dol, le château de Châteauneuf ne pouvait que ressortir de ce paysage de marais. C’était, pour cette branche des Rieux de Châteauneuf, le moyen d’asseoir leur pouvoir sur la région en mettant en évidence leur prééminence.
Aujourd’hui, le logis n’est plus qu’un lieu de mémoire à ciel ouvert. Les toitures ayant disparu il ne subsiste plus que l’ossature et notamment, la magnifique cage d’escalier.
Un autre édifice, d’apparence pourtant insignifiante, est à mettre en valeur. Il s’agit d’un bâtiment, appelé dans les textes d’archives « Petit Château », construit entre 1625-1630, pour Guy II de Rieux ou pour son épouse.
Ce bâtiment est historique et présente un intérêt architectural certain. En effet, ce petit édifice de type Malouinière est un cas unique et précurseur pour l’époque. La date est connue grâce à une Déclaration de la seigneurie datée du 21 mars 1687, qui indique que le « Petit chasteau » est « basty depuis les 60 ans derniers ».
L’emplacement choisi, entre l’enceinte du château et l’église pourrait correspondre à celui d’un ancien bastion de la forteresse, constituant une sorte de terrasse idéale pour y bâtir un édifice de petite dimension (16 m x 9 m.). Sa particularité, outre sa date précoce de construction située entre 1625 et 1630, concerne notamment la classe sociale dont est issu le commanditaire. Ce Petit Château, malgré sa sobriété extérieure, préfigure l’essor d’un nouveau type de demeure qui sera à son apogée au milieu du XVIIIe siècle. Les Malouinières ou maisons des champs seront édifiées par les négociants et armateurs malouins enrichis et parvenus alors au sommet de l’ascension sociale. Ainsi, contrairement à ces nombreuses familles de commerçants malouins, la famille de Rieux était issue de la haute noblesse bretonne. Elle va se construire une sorte de « vide bouteilles » plus d’un siècle avant la généralisation des Malouinières sur tout le pays de Saint-Malo. Si la date avancée dans la déclaration de 1687 est exacte, il s’agit du tout premier exemple de construction d’édifice de ce type dans la région, sorte de « maison des champs ».
Peut-être est-il possible de voir à travers cet édifice un début d’explication quand à l’origine de l’architecture des Malouinières, s’inscrivant dans un contexte d’introduction d’un nouvel art de vivre influencé par la Cour du roi que fréquentait assidûment les Rieux.
L’aménagement et la distribution intérieur de ce Petit Château témoignent de ce goût nouveau pour un meilleur confort de vie, plus fonctionnel. L’escalier se trouve rejeté dans un angle et la salle à manger prend place au centre de l’édifice, non loin de l’office et de la cuisine.
Autour de 1730, ce Petit Château fut agrandi et doublé par un autre corps d’habitation, à la demande d’un membre de la famille de Béringhen, Henry-Camille de Béringhen (1693-1770). Ce nouveau corps de bâtiment fut accolé directement à la façade XVII orientée à l’est.

LA GRANDE MUTATION DU SITE AU XVIIIe SIECLE

Le XVIIIe siècle va marquer profondément le château et son site. Châteauneuf vit alors une période de mutation, à la fois sociale avec l’arrivée d’une famille appartenant à la grande bourgeoisie et non plus à l’aristocratie, et architecturale avec les importants travaux entrepris sur le château et le paysage.
Pourtant, le site même de Châteauneuf, dominant de vastes zones de marais depuis son éperon rocheux, ne présageait pas les transformations qui allaient modifier radicalement l’image du château.
D’important travaux de réaménagement furent alors entrepris par le nouveau seigneur de Châteauneuf, l’armateur malouin Etienne-Auguste Baude de la Vieuville (1713-1794). Le Petit Château constituait pour cette famille de négociants un parfait lieu de villégiature, situé non loin de la ville de Saint-Malo.
Les transformations survenues dès le rachat du marquisat, en 1740, entraient dans le cadre d’un parti novateur et consistaient à rompre avec l’architecture féodale. Selon Auguste Baude de la Vieuville l’ancienne forteresse n’avait plus aucune raison d’exister.
Ce chantier débuta dès le début des années 1740. Un petit livre de comptes tenu par Auguste Baude de la Vieuville indique l’ampleur du chantier, qui débuta par la démolition de l’enceinte ainsi que celle du donjon et du châtelet d’entrée. Les fossés furent comblés partiellement. Seuls le logis et la tour nord qui est accolée furent conservés et cet ancien logis fit même l’objet d’une attention toute particulière. En effet, cette partie du château est appelée dans certains documents, avec respect, le « Grand Château ». Il y était effectué un entretien régulier de réparations et de couvertures. Après avoir rasé l’ensemble des constructions en élévation se trouvant devant l’ancien logis, il fallut aplanir les sols et créer une nouvelle cour d’honneur plus aérée. Les importants remblais provenant des destructions des différents édifices occasionnèrent une élévation du niveau de la cour d’environ trois mètres.
Afin de mettre en valeur l’ancien logis, deux corps de bâtiment furent édifiés pour l’encadrer. Il s’agissait de deux communs construits de façon symétrique par rapport à cet ancien logis. L’un de ces bâtiments de dépendance, servant de remises ou d’écurie, fut appelé par la suite Orangerie, l’autre fut destiné un temps au logement du sénéchal de la juridiction de Châteauneuf qui avait une fonction de régisseur, Monsieur Joseph Normant sieur de Faradon, décédé à Châteauneuf en août 1762. Il laissa son nom ou plutôt son titre au bâtiment des remises, situé au sud-ouest du logis, qui est appelé Faradan.
 Alors que se multipliaient dans la région les belles malouinières, les Baude de la Vieuville ont voulu, eux aussi, avoir leur résidence de campagne et leur parc à la française. Cependant, l’acquisition de l’ancienne forteresse médiévale ne correspondait pas à cette mode. Ce lieu n’était pas adapté au départ pour devenir un lieu de plaisance comportant des jardins à la française. Il fallut alors entreprendre des travaux gigantesques et faire des dépenses pour pouvoir transformer le lieu et le mettre au goût du jour. Le seul endroit dégagé aux alentours du château pour pouvoir créer des jardins, était une zone de marais située à l’ouest du site de Châteauneuf. Malgré les contraintes du terrain, le maître d’œuvre ou architecte paysagiste qui intervint ici, tira profit de l’abondance en eau des terres pour la création des canaux, viviers et étangs. Ce chantier nécessita cependant une main d’œuvre abondante.
Les jardins se développaient en direction de la Rance. L’ancien château fut choisi pour devenir le point central de la composition à partir duquel fut tracé l’axe des jardins. Les canaux et les grandes avenues prolongeaient la perspective vers l’ouest, c’est-à-dire vers la Rance. Or, généralement, l’axe des perspectives des jardins de malouinières, se déployait depuis l’habitation principale qui constituait le point unique de contemplation de l’étendue ordonnée et tranquille. Dans le cas de Châteauneuf, la configuration du terrain liée au choix de conservation de l’ancien logis qui renferme toute l’histoire du site castelnovien, le place dans une situation unique. Enfin, la décision prise par cette famille Baude de la Vieuville de préserver et d’entretenir ce Vieux Château l’érigea au rang de monument respectable, que l’actuel propriétaire s’efforce de maintenir avec ardeur.

CONCLUSION ET CHRONOLOGIE

CONCLUSION :

 

Depuis le milieu du XVIIIe siècle, le site castral de Châteauneuf a été peu modifié. L’actuel propriétaire du château de Châteauneuf s’attache à restaurer avec soin ce monument chargé d’histoires, qui n’est pas ouvert à la visite. Ce site présente un intérêt architectural non négligeable en raison de la diversité de styles architecturaux qui se succèdent sur un même espace et permettent d’observer une évolution continue depuis le XIe siècle.

Comme beaucoup d’autres châteaux ayant un important passé militaire, les progrès de l’artillerie ainsi que les bouleversements politiques et sociaux de la fin du XVIe siècle ont amorcé la démilitarisation du château de Châteauneuf qui se transforma progressivement en demeure de plaisance. C’est l’exemple typique de la transformation d’un ancien site à vocation défensive en lieu de plaisance et de villégiature. Ce château, qui témoigne de ce phénomène de mutation, fait émerger une problématique reposant sur la réutilisation en Bretagne, d’anciens sites défensifs à caractère militaire et leur transformation en lieu de résidence.

De plus, l’existence de ce château est fortement marquée par une lignée de propriétaires, seigneurs de Châteauneuf pendant plus de 250 ans, les Rieux, qui pourraient faire l’objet d’une étude approfondie.

 

 

 REPÈRES CHRONOLOGIQUES :

 

 

1047 1057 première mention de l’existence d’un lieu fortifié à Châteauneuf, attestée dans une charte de Saint-Georges de Rennes qui autorise la fondation d’un castellum à Nulliac, dans la vicomté d’Alet.
1117 lieu fortifié reconstruit sous les directives de Henri Ier, roi d’Angleterre et duc de Normandie, après un accord passé avec Conan III. Poste anglo-breton appelé château de Bure, comportant un donjon quadrangulaire construit en pierre.
1118 mort de Baudouin VII, comte de Flandre, dit « la Hache » au pied du donjon, lors d’une attaque des troupes françaises sur la Bretagne.
 1181 première mention faite de la forteresse de Châteauneuf, sous le nom de castellum de Nœs, dans l’enquête par Tourbe sur les domaines temporels de l’évêché de Dol.
vers 1250  première mention d’un seigneur de Châteauneuf nommé Thébaud de Rochefort.
1351 Bertrand du Guesclin et sa troupe s’établissent dans la forteresse de Châteauneuf de la Nouée, connue aussi sous le nom de Chasteauneuf de la Noe. Des travaux entrepris entre 1341 et 1381, améliorent l’aspect défensif de la forteresse.
1374 Jeanne, Dame de Rochefort et de Châteauneuf épouse Jean II de Rieux, maréchal de France. Par cette union Châteauneuf entre dans la famille de Rieux jusqu’à sa vente en 1681.
1441 date de réfection du château suite à la levée d’un impôt par Jeanne, Dame de Rochefort et de Châteauneuf, à partir de 1420, en ses terres et baronnies pour la réparation de ses forteresse.Date d’érection de la terre de Châteauneuf en baronnie.
1489 les Français s’emparent de la forteresse.
1589 le château est pris par les troupes du duc de Mercoeur (1558-1602).
1591 Châteauneuf abrite une compagnie de ligueurs de 50 arquebusiers à pied.
1592 en mars, une garnison royaliste sous le commandement du capitaine La Touraine est établie dans la place de Châteauneuf. Puis, les ligueurs, ayant repris possession des lieux en octobre, commencent à démilitariser la forteresse en décembre. Le donjon est en partie détruit et les canons aux armes des Rieux sont transférés à Saint-Malo.
1594 sur ordre du roi Henri IV la forteresse est démantelée.
avant 1610 reconstruction du logis par Guy II de Rieux, fils de Guy Ier et jugement à la Cour du Parlement suite aux doléances des habitants s’opposant à cette réédification.
vers 1625-1630 édification du « Petit Château » ou « Château Neuf », actuelle malouinière.
1681 vente judiciaire de la seigneurie de Châteauneuf et autres propriétés de la famille de Rieux, qui furent saisies par leurs créanciers. (Procès verbal du 22 septembre 1681)
1704 la seigneurie de Châteauneuf est érigée en marquisat par Louis XIV, en faveur de Jacques-Louis de Béringhen, Ier écuyer du roi. La juridiction de la seigneurie se composait de 55 bailliages et s’étendait alors sur plus de 25 paroisses.
vers 1730 le « Petit Château » est agrandi par la famille de Béringhen qui y accole un bâtiment de type malouinière.
1740 vente de la seigneurie par Henry-Camille de Béringhen à Etienne-Auguste Baude, seigneur de la Vieuville, issu d’une famille de riches négociants malouins. Il entreprend de supprimer définitivement le donjon ainsi que l’enceinte médiévale subsistant de la forteresse, et dresse les plans du parc, le plus long de Haute-Bretagne au XVIIIe.
1791   le 22 janvier, une troupe de 500 hommes armés envahit le château et brûle des archives provenant de la seigneurie de Coëtquen.
1793 Monsieur de la Vieuville est arrêté puis est conduit à Rennes où il est guillotiné le 15 floréal de l’an II, le 4 mai 1794, alors âgé de 81 ans.
1858 le fils du marquis de la Vieuville vend la propriété à Auguste Latimier du Clésieux.
vers 1880  1890  le propriétaire, le marquis d’Audiffret-Pasquier fait rénover le château par un architecte venu de Paris, les travaux de restauration sont entrepris surtout pour consolider l’ancien logis
1910 et 1921 la famille d’Audiffret-Pasquier vend les biens mobiliers du château à l’encan à un négociant puis vend l’ensemble de la propriété en 1921.
1930 Inscription des restes du vieux château sur l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.
1992 le 10 avril, Inscription du vieux château, de la malouinière et de l’ancien jardin sur l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.
1993 le 2 octobre, les éléments bâtis du château et de la malouinière ainsi que l’ancien jardin sont classés parmi les Monuments Historiques.